Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blogue de Paule Doyon

Discours pour l'écureuil-27

22 Mars 2015 , Rédigé par Paule Doyon Publié dans #roman

Discours pour l'écureuil-27

***

Tôt ce matin je suis allée nager dans la piscine. Par moments je me laissais flotter paresseusement sur l’eau pour regarder marcher les nuages dans le ciel. De temps à autre un oiseau traçait une ligne sombre dans l'air. Est-ce que les oiseaux éprouvent le même plaisir à voler que nous à nager? Ce doit être enivrant d'être un oiseau. Au fond, le bonheur est quelque chose de très simple. Si simple, que les oiseaux sont heureux. Mais trop simple pour l'homme compliqué. Ensuite, j’ai marché sur la grève en écoutant, emmêlée à la voix de la mer, la voix de Gaston Miron contre mon oreille dans les écouteurs de mon baladeur...

La marche à l'amour du poète m'accompagnait au milieu des mouettes errantes. Au loin, quelques bateaux avançaient lentement comme des funambules sur la ligne d'horizon. Un chien se roulait dans le sable. Le soleil émietté sur l’eau transformait la mer en un vaste champ aux sillons éblouissants. Les poèmes de Miron, par-delà sa mort, envahissaient mes oreilles, couvraient le chant mat du rouleau des vagues. Je pensais à tous les poètes morts. Que reste-t-il d'eux? Sinon leurs mots qui rappellent leur souffrance. Les mots ne meurent pas...

J'écoutais la voix tonnante de Miron déferler, ranimer ses phrases taillées à même la vie. Substance d'ombres et de lumière, où le poète usait ses forces à resemer inlassablement des amours trop fragiles pour croître longtemps sur le sol inculte du monde. J'entrevoyais par moment les floraisons éblouissantes d'un étrange réel, sur l'irréel de la vie. Comme si la mer à mes côtés devenait une immense toile d'eau où flottaient, comme des bateaux de brume, les mots sauvages de Miron. Des mots encore tout ébouriffés du soleil et du sang de la barbarie de toute vie, rejetant des images irisées de douleur et d'espoir, battant sans arrêt de nouveaux sentiers pour l'amour. La voix de Miron se gonflait de tous les mots de la vie, s'épandait, me semblait-il, à la grandeur de la plage, heurtant les corps durs des mouettes sur le sable, effarouchant les vagues et repoussant jusqu'au fond de l'horizon les troupeaux apeurés des nuages. Sa voix tonnait dans mes oreilles en cascades ascendantes, défrichant sans arrêt de nouveaux chemins, tentant toujours de recolorer l'amour incolore.

Miron est mort. Aucun homme n'échappe à la mort. Depuis toujours. Pourtant, nous sommes incapables de croire réellement qu'un jour nous serons morts nous aussi, comme les milliards d'hommes qui nous ont précédés. Savoir et croire sont deux choses. Notre propre mort nous demeure inconcevable. Même si nous voyons le vide se faire autour de nous à mesure que nous vieillissons. Chaque seconde dans le monde, des hommes meurent, cèdent leur place à ceux qui naissent.

Des passagers qui descendent d'un train, alors que d'autres y montent. Chaque génération pousse la précédente vers cette gare aux portes fermées, jusqu'à ce qu'on y entre. Sont-ce les portes du néant ou bien celles d'une autre vie?

Bien sûr, certains prétendent avoir revu un parent ou un ami décédé, mais qui les croit? Aucun signe des morts n'est crédible pour les vivants. Nous sommes d'incurables incrédules. N'avais-je pas réclamé un signe d'une vieille voisine qui venait de mourir. Un petit cadeau? avais-je proposé… Quelques heures plus tard, son mari m'apporta un cadeau troublant : des souliers beaucoup trop grands pour moi. Je demeurai encore plus ahurie en lisant la marque de commerce sur la semelle: Lydia. Le nom fictif que j'avais attribué à cette femme dans une nouvelle écrite le jour suivant son décès. Ai-je cru? Pas du tout. Mais j'ai éprouvé une peur terrible.

à suivre...

Livre publié sous le titre de : La vie à petits pas.

acheter: http://www.lulu.com/spotlight/pauledoyon

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article